Il y avait une fois…
Bon Pèlerin, comptez-nous une histoire…
Il y avait une fois un roi sage, riche, puissant, grand entre tous les rois de la terre. Il avait régné cinquante ans avec gloire, rien n’avait manqué à sa prospérité; et cependant il se prit un jour à dire à ses enfants: “J’ai regardé ma vie, j’ai compté mes jours heureux, et je n’en ai compté que quatorze. O vanité des vanités!”
Après une pause, le Pélerin ajouta:
Il y avait une fois un homme juste qui n’avait ni richesses, ni puissance, ni grandeur, ni rien de ce qu’on appelle les jouissances de la vie. Il avait travaillé quarante ans, avait supporté bien des misères, traversé de mauvais moments et il dit une fois à ses enfants : « J’ai regardé ma vie, j’ai trouvé quelques jours tristes, et je n’ai pu compter les jours heureux : ils dépassé le nombre de mille. O bonheur de la vertu ! »
Le roi sage avait reçu à sa naissance trois présents : la puissance, la richesse et la gloire. Il domina les peuples, il disposa de trésors immenses, il fut loué et honoré sur la terre, puis il mourut et son nom fut inscrit sur le marbre.
L’homme juste reçut au berceau trois perles précieuses qui étaient tombées du ciel. La première devait l’éclairer et le guider, la seconde devait le consoler et le soutenir, la troisième devait animer toutes ses actions et lui faire trouver partout l’amour et le bonheur. Ces perles se nommaient Foi, Espérance et Charité.
L’homme juste les porta toujours dans sa main, et avec leur secours il traversa les épreuves de la vie, et supporta la pauvreté, le travail et la souffrance. Puis il mourut et son nom fut inscrit par les Anges sur un livre éternel.
Le roi sage reçut un vaste empire à gouverner, de magnifiques palais, de superbes demeures, beaucoup d’enfants, des serviteurs et des vassaux. Après sa mort, son royaume fut divisé et ses plais détruits ; ses fils et ses vassaux oublièrent sa mémoire. Aujourd’hui, on ne connaît plus ses enfants ni ses richesses, son nom seul est inscrit sur le marbre.
L’homme juste qui n’avait ni richesse, ni puissance afait le bien en traversant la vie. Depuis sa mort, sa postérité s’est accrue, sa demeure s’est embellie, elle est devenue un temple et son nom répété par les Anges, a été écrit dans le ciel, et sera béni d’âge en âge. Le roi sage a passé en laissant à la muse de l’histoire le soin d’écrire son nom sur le marbre.
L’homme sage a passé sans s’occuper de sa propre gloire ; il a regardé le ciel et il a dit : « Béni soit le Seigneur ! »
Louons l’homme juste ; il est au-dessus du roi sage. Tout passe, enfants, le printemps, la jeunesse et les fleurs, les mauvais jours, les chagrins, les douleurs ; tout passe, enfants.
Rita Bonnat (1803-1882)