Les trois perles de l’homme juste: la Foi, l’Espérance et la Charité
« Bon Pèlerin racontez-nous des histoires ! »
« Je vous dirai ce que chantait l’homme juste. »
Chanson de l’homme juste
En voyageant, j’ai planté un if qui a grandi, il est devenu un arbre. On peut se reposer sous son ombrage à l’abri de la tempête, et sans redouter les brûlants rayons du soleil de midi. Je l’avais planté pour en jouir ; la chouette en a fait sa demeure, et la nuit, elle a chanté : Malheur et douleur au voyageur !
J’avais trois perles dans la main, et j’ai répondu : Pour moi, bonheur ; je suis l’ami du Seigneur !
J’avais semé des fleurs ; elles étaient belles, elles excitaient l’envie des passants. Je les cultivais avec soin ; j’étais fier de leur nombre et de leur beauté. Le vent d’automne a soufflé et, avec l’orage mes fleurs ont été brisées. La chouette a chanté : Malheur ou douleur !
Mes perles dans la main, j’ai répondu : Bonheur ! Mes fleurs étaient au Seigneur !
J’ai élevé des tourterelles qui becquetaient mon pain et buvaient dans ma main. Elles partageaient mon existence, elles vivaient de ma vie, elles charmaient et embellissaient ma demeure, avec elles j’aimais et me croyais aimé. Je les avais, par mes soins, préservées de l’oiseleur et du milan, et elles se sont envolées !… la chouette a chanté : Malheur et douleur au voyageur !
Mes perles dans mes mains, j’ai répondu : Bonheur ! Mes tourterelles étaient au Seigneur !
J’avais un champ ; il avait été ensemencé du plus pur froment mais à la dérobée, l’ennemi y a semé de la zizanie, et elle a étouffé mes plus eaux épis. La chouette a chanté : Malheur ou douleur !
Mes perles dans mes mains, j’ai répondu : Bonheur ! Mon champ était au Seigneur !
J’avais un troupeau de belles et innocentes brebis qui me suivaient au pâturage, écoutaient mes chants, me donnaient leur lait et leur toison. Elles dormaient près de moi, elles faisaient mon bonheur ; le loup m’en a dérobé plusieurs. La chouette a chanté : Malheur et douleur !
Mes perles dans mes mains, j’ai répondu : Bonheur ! Mon troupeau était au Seigneur !
J’avais une fille bien-aimée qui chérissait son père, le soutenait, le consolait ; elle était bonne, elle faisait ma joie. Ses peines ont été mes peines ; j’ai pleuré en voyant ses larmes. Ses sœurs l’avaient chassée pendant la nuit, puis je l’ai vue languir et mourir, et j’ai encore pleuré sur sa tombe. La chouette a chanté : Malheur et douleur !
Mes perles dans mes mains, j’ai répondu : Bonheur ! Ma fille était au Seigneur !
J’ai ouvert ma maison au voyageur, j’ai donné ma main à l’orphelin, ma bourse à la veuve, mon pain à l’indigent. J’ai offert mon sommeil, mon repos, ma vie pour tous les malheureux, et j’ai reçu du mépris ; on m’a accusé, on m’a calomnié, on m’a flétri. La chouette a chanté : Malheur et douleur !
Mes perles dans mes mains, j’ai répondu : Bonheur ! Ma gloire était au Seigneur !
J’ai eu de la jeunesse, de la force, de la santé ; j’ai pu entreprendre de longs voyages, de grands travaux. J’ai travaillé en chantant, j’ai souffert en souriant, puis un jour en cherchant ma jeunesse et mes forces, je suis tombé sous le faix des années, de la souffrance, des infirmités. J’entends la mort qui m’appelle… le vieillard va s’endormir. La chouette a chanté : Malheur et douleur !
Mes perles dans mes mains, j’ai répondu : Bonheur ! Ma vie était au Seigneur !
L’homme juste a demandé de dormir sous le chêne, mais l’homme juste est au Seigneur, il reposera dans son temple et près de son autel. Tout passe, enfants, le printemps, la jeunesse et les fleurs, les mauvais jours, les chagrins, les douleurs, tout passe, enfants.
(Texte inédit de Rita Bonnat – 1862)