L’affiche invisible
Un modèle remarquable d’affiche invisible a été mise au point par un pêcheur gaspésien. Sur un grand carton blanc, avec un crayon de feutre noir et de sa plus belle main, il avait écrit :
POISSON FRAIS EN VENTE ICI
Reculant un peu devant son chef d’œuvre pour en apprécier l’effet, il fut tout de suite agacé par le mot frais. Non ! Pas question, se dit-il, de laisser entendre que je pourrais vendre du poisson pourri. Il recommença l’affiche en enlevant le mot frais.
POISSON EN VENTE ICI
Cette fois, le mot ici arrivait seul sur la dernière ligne. C’était plutôt agaçant. Sa logique de pêcheur lui permit de résoudre le problème. « Il est évident, dit-il à sa femme, que je n’annonce pas le poisson du voisin. Il va de soi que mon poisson se vend ici sans que je l’écrive. » Une nouvelle affiche fut mise en chantier.
POISSON EN VENTE
Redoublant de sens critique et pratique, notre brillant pêcheur rejeta l’idée qu’il pourrait donner son poisson ou que les clients le réclameraient gratuitement. Il s’empressa de biffer en vente et une nouvelle affiche apparut.
POISSON
Dans la dernière version de son affiche où figurait seul le mot poisson, il n’eut pas de mal à se convaincre que l’odeur assez forte de sa marchandise suffisait à signaler sa présence. Et c’est ainsi que son affiche se retrouva toute blanche. Il décida de ne pas l’exposer pur ne mystifier personne. C’était enfin le vrai modèle de l’affiche invisible qu’aucune loi ne peut interdire.
Quantité de chrétiens et de chrétiennes circulent avec ce style d’affiche pour témoigner de leur foi… C’est à s’y méprendre ; on dirait qu’ils ne le sont pas. Mais ils ont leur affiche invisible et si vous exprimez un doute, vous serez vertement sermonnés de ne pas l’avoir remarquée, et tant pis si vous ne savez pas lire !
Si au moins nous avions l’odeur… (je pense au poisson de mon Gaspésien) pour signaler qu’il y a chez eux de la foi ! En nous voyant, en nous entendant, en nous regardant agir, et parfois prier, les gens pourraient devoir respirer la bonne odeur du Christ…
Mais plusieurs chrétiens et chrétiennes ont fini par éliminer à peu près tout ce qui permettrait de les reconnaître comme chrétiens, comme chrétiennes. Leurs opinions, leur langage, leurs relations, leurs engagements et leurs divertissements, plus rien ne trahit leur adhésion. A force de ne pus vivre comme ils pensent, plusieurs d’entre eux ont fini par penser comme ils vivent.
Aux dernières nouvelles mon pêcheur gaspésien n’avait encore rien vendu… Et nos chrétiens et chrétiennes ne seront pas de sitôt accusés d’être disciples du Christ. Personne n’a de preuves pour les accuser.
Texte d’Eric EDELMANN « Plus on est sage, plus on rit » Ed du Relié 2005 p : 105 cité par Jean-Guy Saint-Arnaud dans « A fleur de Dieu » p : 78-80 Ed Médiaspaul