[:fr]Caïn et Abel[:]
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« Caïn adressa la parole à son frère Abel et comme ils étaient dans les champs, Caïn se dressa contre son frère Abel et le tua ». Gn 4, 2-3)
Chouraqui traduit : « Caïn dit à Abel, et quand ils sont dans les champs, il se dressa contre son frère et le tua ». Sa traduction est plus fidèle au mot hébreu.
Quand on dit « Caïn parla à Abel », la phrase est complète alors que le verbe hébreu appelle un complément comme le verbe dire en français.
La traduction « Caïn dit à Abel… et quand ils sont aux champs » laisse apparaître un manque, une rupture. « Caïn dit à Abel… », cette construction laisse un blanc, il manque quelque chose. En rhétorique, cela s’appelle une anacoluthe, un décrochage. « Caïn dit … » il dit quoi ? Il ne rien du tout. Les rabbins disent : le problème de Caïn et Abel, c’est justement que les deux frères ne se sont pas parlé.
Quand j’étais petit, au catéchisme, j’avais appris que Caïn était le méchant et Abel, le gentil. Les textes hébreux sont beaucoup plus subtils que cela. Le drame de Caïn et Abel représente la grande opposition entre les sédentaires et les nomades. Caïn était agriculteur et Abel berger. Tout le problème du texte est la question : comment les sédentaires et les nomades arrivent à se partager la terre ?
Les textes rabbiniques sont souvent assez sévères contre Abel qui aurait fait preuve d’arrogance auprès de son frère, disant : mon sacrifice a été accepté et pas le tien ! L’enjeu de ce texte-là est de savoir comment sédentaires et nomades pouvaient apprendre à se partager l’espace ? Le drame est celui de la jalousie et de la violence, mais surtout de l’apprentissage de la différence. Les premiers chapitres de la Bible reposent sur un certain nombre de polarités.
Le 1er chapitre évoque les oppositions entre le jour et la nuit, le ciel et la terre, les continents et les océans, la lune et le soleil, les poissons et les oiseaux, l’homme et l’animal. En Gen 2, on trouve la polarité entre le souffle et la poussière, l’homme et la femme, le commandement positif et le commandement négatif. Et là on trouve enfin la polarité entre les nomades et les sédentaires. Les rabbins disent que l’enjeu fondamental de notre humanité est de savoir quelle place nous laissons à l’autre pôle que nous-mêmes ? Ils racontent alors une légende à partir du mot « chamayim », qui en hébreu veut dire, le ciel. Le mot chamayim est composé de deux mots : « esh », le feu, et « mayim », l’eau. Le feu et l’eau symbolisent ce qui peuple le ciel : le soleil et les nuages, qui sont en opposition puisque les nuages obscurcissent le soleil qui lui assèche les nuages.
Dans leur sagesse le soleil et les nuages se sont dit : si jamais l’un de nous nous était totalement vainqueur, le monde ne survivrait pas. Le soleil a dit : « si j’asséchais tous les nuages, le monde deviendrait un désert et ne pourrait pas vivre » ; et les nuages ont dit : « si nous cachions définitivement le soleil, le monde serait dans les ténèbres et ne pourrait pas vivre ». Et ils ont décidé de se partager le ciel. Il y a « chamayim », ciel, quand le soleil et les nuages décident de se partager le ciel. En météorologie, lorsque le soleil et les nuages se rencontrent, cela forme un arc-en-ciel, qui symboliquement représente le partage du ciel par le feu et l’eau.
Nous avons là un modèle pour évoquer les différences énumérées. La terre ne deviendra un ciel que lorsque les sédentaires et les nomades arriveront chacun à laisser une place à l’autre élément de la polarité.
Cité par le pasteur A Nouis
Les Lectures rabbiniques de la Genèse – 2009
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