Luc est le seul évangéliste qui nous donne à connaître l’indomptable Jésus de douze ans. Les autres ne se risquent pas raconter comment ce Messie prépubère échappe déjà à la vigilance de ses parents et sur quel ton il leur parle… Certes, n’y a plus de Messie à engendrer – ne nous en déplaise -, et pour cela il nous faut assurément, tout narcisssisme mis à part, rendre grâce
Mais ce qu’il y a à entendre de ce passage d’Évangile isolé des convergences synoptiques touche peut-être au principe de l’adolescence. À condition que ce mot retrouve un accent de noblesse: il nous reviendra, pour les besoins de la méditation, de le laver de la boue de nos représentations boutonneuses remâchant toujours le même chewing-gum. Car cet âge charnière pose avec force la question de la demeure et l’enjeu qu’il y a à habiter.
Si Jésus, par Ies premièrs plan de misère qui caractérisent sa naissance et sa mort, affirme sa puissance dans les « déliés » de son existence, il l’affirme d’autres fois dans les « pleins ». Ainsi ce lendemain de fête où il se désolidarise de la communauté villageoise et ne suit pas le mouvement pour descendre de Jérusalem, regagner Nazareth et un quotidien où le temps reprendra un souffle régulier. Pressent-il qu’il a matière, au cœur de cette Ville, à entraîner en quelque sorte son destin? Ou bien s’abandonne-t-il simplement à un sentiment inédit de familiarité entre les hauts murs du temple de Jérusalem?
Toujours est-il qu’il se tient: là, et d’une hauteur manifestement prompte à attire les regards. Ce sont ses mot surtout qui captent l’écoute de ceux qui passent par là, et tout le récit est encadré par l’impératif de croissance qui pousse cet enfant particulier. Quelque chose bouillonne, quelque chose se fixe, quelque chose se déplace et sous le traits ordinaires d’un enfant peu ou prou soumis à ses parents contre un germe d’Eternite qu’il sortira bientôt de lui-même pour le proposer à l’humanité. Tout cela ne tient plus entre les quatre murs d’une quelconque éducation. Car comme toute germination, elle est favorisée par un milieu. La couveuse du Messie ne peut être Nazareth, non pas seulement parce que nul n’est prophète en son pays, mais parce que l’évocation de Nazareth nous entraîne à des considérations géographique et conjoncturelles, tandis que l’évocation de Jérusalem nous entraîne à une élévation qui abolit les frontières pour concerner l’humanité entière. C’est là toute la dramaturgie de cette Cité, en même temps que l’Histoire s’y agrippe de peur de flancher de vertige devant l’Éternité.
Marion Muller-Colard
Eclats d’Evangile – Ed Boyard p: 66-67
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