Homélie du Père Maurice Robineau – Célébration eucharistique des funérailles de
SŒUR FELICITE GREGORIO
« Vous êtes la lumière du monde »
« Vous êtes le sel de la terre » Matth. 5.13
Sainte Cène, le cortège chrétien conduisait le Saint Sacrement vers le reposoir dans l’oratoire voisin. Une petite religieuse, toute frêle et trotte-menue, légèrement voutée ouvrait la procession, un flambeau à la main. Oh !, elle n’était pas cachée sous le boisseau la lumière de Sœur Félicité, elle la tenait bien levée, se redressant même dans la mesure où ses vieux os le lui permettait… et moi qui portais le ciboire, je disais : « Seigneur, je suis heureux de te montrer aux hommes, toi, la Lumière du monde mais regarde ta fille, là devant nous, ton humble servante effacée et discrète ne porte-t-elle ta lumière au monde comme tu l’as souhaité. Tel est, Sœurs et Frères, le 1er souvenir que j’ai gardé de Sœur Félicité.
Celui qui porte la lumière, dans la liturgie, on l’appelle le céroféraire, étymologiquement le porte cierge mais je préfère employer le mot « photophore », le porte-lumière… j’allais dire la porte-bonheur. Et oui, car de l’un à l’autre, il n’y a pas loin. Que cherche les hommes, que cherchons-nous, sinon une joie qui dilate nos cœurs et avec vous, Sœur Félicité, c’est plus facile… tout le monde ne s’appelle pas Félicité, la félicité n’est-ce pas justement le bonheur… Dans un monde où souvent l’on patauge dans la boue, nous avons besoin de rencontrer des regards clairs, des sourires discrets mais émanant d’une force tranquille.
Oui, monde de loups souvent, monde de la famille avec ses querelles d’intérêt, ses rancunes…
Monde des relations sociales avec ses flatteries, ses façons de paraître, ses sourires en coin.
Monde du travail avec ses conflits d’influence où l’on joue des coudes pour grimper à l’échelle au risque d’écraser l’autre,
Monde de la politique avec sa volonté de puissance…
Alors, Sœurs et Frères, si un jour, vous vous sentez écrasés dans ce monde dur, si vous perdez espoir, souvenez-vous de Sœur Félicité, gardez le souvenir de « la photophore » au regard limpide, au sourire lumineux où transparaissait le bon sens, la vérité, la vérité toute nue de celle qui marche, désarmée, sans bouclier, la vérité sans fard comme si elle venait d’éclore dans la fraîcheur du premier matin du monde. « Heureux les cœurs purs » chantiez-vous tout à l’heure, mes Sœurs, le cœur pur n’est-ce pas celui qui laisse apparaître ce qu’il vit intérieurement. Quand le chrétien vit de Dieu, au-dedans de lui-même, cela se voit, c’est en ce sens qu’il est lumière ; c’est dans la mesure où il fait transparaître ce qu’il porte en lui qu’il est la lumière de Dieu. Sœur Félicité, soyez félicitée d’avoir été une lumière et de nous avoir donné ainsi dès ici- bas un peu de félicité.
« Vous êtes la lumière » disait Jésus et aussitôt il a ajouté, « vous êtes le sel de la terre » Oh ! je sais, ma Sœur, avec l’humour qui vous caractérisait, vous saviez glisser votre grain de sel dans la conversation, mais c’est surtout dans les plats que vous apportiez le sel, vous qui avez été, 50 ans durant, devant les fourneaux.
Le grain de sel, je l’ai trouvé sous la plume de votre sœur aînée, Marie-Christiane, qui vous a devancée dans la maison du Père. Au jour de votre jubilé d’or, elle vous faisant dire ces mots si jolis dans leur simplicité : « Seigneur, il m’est venu l’idée que vous auriez besoin d’une sainte, alors, je viens pour la place, je crois que je ferai l’affaire »… et plus loin elle précise : « Ce que je vous donne, Seigneur, vous le savez bien que vous le prenez sans permission, vous êtes si imprévisible mon Dieu, tout ce que je peux faire, c’est de ne pas rouspéter. »
Voilà, Sœurs et Frères, ainsi le grain de sel était devenu humour. Nul doute qu’à la cuisine, les plats étaient épicés avec la même dextérité. Et vous, Sœur Félicité, qui étiez toute proche du feu, vous méditiez sans doute les paroles de St Marc : « Chacun sera salé au feu » Mc 9.49.
Peut-être avez-vous quelques fois jeté du sel sur le feu dans le four domestique pour que les broussailles prennent mieux mais ce n’est pas ce que veut dire l’évangéliste, ce sont les potiers qui donnent le sens de cette mini-parabole : « chacun de nous sera salé au feu ». Ils avaient remarqué que le sel durcissait les parois intérieures du leurs fours, les rendait plus lisses, plus résistantes, leurs poteries étaient ainsi salées au feu, rendues imputrescibles, étanches, belles et brillantes.
L’artisan Jésus savait tout cela et il voulait dire qu’ainsi le divin Potier non seulement façonne ses créatures mais il souhaite les faire jolies et solides, impénétrables au mal, pures comme le cristal, en un mot, il veut les saler d’amour, les brûler au feu de son amour…
Voyez-vous ma Sœur Félicité, nous faisons un peu les savants pour expliquer la Parole de Dieu. Quant à vous c’est au fond de votre cœur que vous avez découvert tout cela. Peu à peu le Dieu d’amour, en vous, avait modelé, purifié et ciselé le cristal qu’il souhaitait…Je suis sûr que vous méditiez tout cela dans le secret de votre prière mais aussi en mitonnant les petits plats pour réjouir les papilles de vos sœurs.
Sœurs et Frères, Connaissez-vous le film intitulé « le festin de Babette » Babette est une cuisinière renommée dans un grand restaurant parisien mais elle doit fuir la répression de la Commune de Paris en 1871. Elle trouve refuge au Danemark dans un petit village, au service de deux demoiselles. Tous les ans elle achète un billet de loterie. Au bout de 15 ans elle gagne le gros lot mais, au lieu d’améliorer son sort, elle consacre TOUT son argent pour reconstituer, en une seule soirée et pour 12 couverts, le faste de la grande cuisine parisienne. Un repas, Sœurs et Frères, un repas peut être une histoire d’amour.
Sœur Félicité, je crois que vous n’avez pas cassé votre tirelire et pour cause n’en aviez pas mais je sais que vous avez souvent préparé de vrais festins, toujours assaisonnés de beaucoup d’amour et… d’une pincée de sel !
P.Maurice Robineau – 16 juin 2009